Conté par Marie Treps pour La Prune de l'aube

Marie Treps, linguiste et sémiologue, s’intéresse aux mots, aux images… et à ce qu’il y a derrière. Chercheur au CNRS, elle a travaillé à l’élaboration du Trésor de la langue française, dictionnaire des XIXème et XXème siècle. Elle est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages consacrés à la langue française. Lorraine et experte de la tarte aux mirabelles, elle a pris grand plaisir à écrire « La Prune », livre illustré publié aux éditions TohuBohu.

Une beauté rustique venue de loin

Un voyageur parcourant l'Amérique du Nord, l'Asie et l'Europe, trouvera, ici ou là, des pruniers sur son chemin. Or, les multiples variétés de ce fruitier aujourd'hui si commun ne poussent spontanément en aucun endroit du monde. Alors, comment est-il apparu ? 

L'ancêtre de notre prunier est issu d'une hybridation entre deux espèces sauvages partageant un même territoire. Ce prunier "spontané" était ainsi présent, en différents endroits du monde, bien avant l'agriculture, et, dès l'âge de pierre (vers - 3000), les hommes appréciaient son fruit : on a trouvé des noyaux de prunes dans les habitations lacustres alpines. 

Au début de notre ère, la culture de la prune s'est propagée en Europe, à partir d'un foyer oriental. Au 1er siècle, le naturaliste Pline l'Ancien en témoigne : à l'époque de l'hégémonie romaine sur la Syrie, diverses variétés de prunes sont introduites à Rome, dont la fameuse prune de Damas.

De là, les Romains l'auraient importées en Gaule ?

Le charme des légendes

Sans doute, mais au Moyen Âge, nous redécouvrons cette belle prune violette, une légende naît alors. 

En juillet 1148, les Croisés avaient opportunément décidé de faire le siège de Damas par l’ouest, car, là, les vergers pouvaient leur fournir un approvisionnement alimentaire constant. Contraints d'abandonner cet emplacement privilégié pour un autre où manquaient eau et cultures, ils échouèrent et la deuxième croisade s'acheva par un échec.

Si l'expédition n'avait pas atteint son but, elle eut un résultat heureux. Faute d'avoir délivré le tombeau du Christ, les Croisés s'en revinrent avec des pruniers de Damas. Ainsi parle la légende… Quelques siècles plus tard, les moines de l'abbaye de Clairac ont obtenu, par hybridation avec un prunier local, une prune bleue baptisée prune d'Agen. Lentement séchée au soleil, elle gardait tous ses sucs et se conservait deux années. Devenue pruneau, notre précieuse prune continua à voyager… Le baril de prunes séchées était de tous les voyages en mer, de toutes les courses des explorateurs, assurant une nourriture bienfaisante.

À l'autre bout du monde, on connaît aussi les vertus de la prune séchée, confite ou macérée, et l'on en fait bon usage depuis des siècles.  En Chine, la prune est précieuse : elle rétablit l'équilibre entre le Yin et le Yang. Au Japon, l'umeboschi, fabriqué à partir de prunes macérées dans le sel, est utilisé pour ses multiples vertus médicinales.

La prune fêtée

Les pruniers, comme tous les fruitiers, sont liés au cycle saisonnier, mais, plus que d'autres, ils évoquent le temps qui passe. Une production de fleurs abondante, exhalant un parfum délicieux, sur des branches apparemment mortes, à une époque où la neige est parfois encore présente… Cette sorte de miracle célèbre la mort de l'hiver et la naissance tant attendue du printemps. 

Une floraison si précoce et spectaculaire est symbole de renouveau dans nombreuses cultures. Au Japon, il existe une tradition le Hanari, littéralement "contemplation des fleurs". On se donne rendez-vous sous les arbres, munis de victuailles et de couvertures… Et quand les fleurs seront tombées comme neige pour laisser place aux feuilles, on aura célébré la beauté de l'éphémère.

Bien loin de cette douce nostalgie, les prunes font l'objet d'évènements festifs, à la fin août, dans l'Est de la France, en Franche-Comté et en Allemagne, mais aussi dans Le Var, en Seine et Marne… Ici ou là, au cœur de l'été, on fête la mirabelle ou la quetsche, et le clou des festivités est l'élection d'une reine. Sur son char, la Reine de l'année ouvre les réjouissances….